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En 2017, en France, une commission d’experts indépendants a été chargée d'évaluer l’impact attendu de l’entrée en vigueur de l’accord commercial entre l’Union Européenne et le Canada (CETA) sur l’environnement, le climat et la santé. Voici ce qu'il dit dans sa synthèse.

Spoiler : cela n'a pas empêché les députés français de ratifier l'accord le 23 juillet 2019 (scrutin).

 

Préambule. Cette Commission présidée par Katheline Schubert a été installée le 6 juillet 2017. Elle a conduit ses travaux sur la base de son expertise interdisciplinaire, d’analyses académiques complémentaires et d'auditions avant de remettre le 8 septembre, deux mois plus tard, son rapport  au Premier Ministre, Edouard Philippe. Dans l'intervalle, le 31 juillet, le Conseil constitutionnel déclarait le CETA conforme à la Constitution française.

 

Synthèse de la synthèse (reformulée)

Il a été demandé « un éclairage objectif, scientifique et quantitatif quant à l’impact du CETA sur l’environnement, le climat et la santé, dans le cas d’une mise en œuvre de l’intégralité des dispositions de l’accord » et pour cela :

  • évaluer l’effet du CETA sur les flux commerciaux des différents biens et services, en fonction de leur empreinte carbone, et les effets directs et indirects sur les émissions de gaz à effet de serre, la diffusion des technologies propres et les modes de production ;
  • évaluer les conséquences sur les normes environnementales et sanitaires de la France et de l’Union européenne, et sur la capacité des États à réguler dans le domaine de l’environnement et de la santé ;
  • formuler des recommandations pour pallier les effets négatifs anticipés ;
  • proposer un dispositif robuste pérenne de suivi et d’évaluation des effets réels de cet accord sur l’environnement, le climat et la santé ;
  • proposer des méthodes pour une réflexion transversale sur la politique commerciale européenne, notamment la prise en compte dans les accords commerciaux des enjeux de préservation de la planète et de protection de la santé.

Compte tenu du temps très bref imparti, la Commission s'est concentrée sur les quatre premiers point. Elle n'a pas traité de manière approfondie la réflexion transversale sur la politique commerciale européenne, et notamment la prise en compte des enjeux de préservation de la planète et de protection de la santé. Elle n'a pas non plus pu réaliser d’évaluations quantitatives originales de l’impact du CETA.

Historique. Le traité CETA intervient à la suite d’une très longue liste d’accords commerciaux signés par l’Union européenne et a été négocié pendant de longues années. Les craintes et interrogations qu'il suscite dans la société civile sont attribuées à plusieurs raisons :

  • les bénéfices à attendre des accords de libre-échange ont par le passé été surestimés par leurs promoteurs, tandis que les conséquences distributives en ont été minimisées et les externalités négatives tout simplement ignorées.
  • les craintes sur la perte de souveraineté, l’affaiblissement des principes démocratiques et le dumping social - parfois imprécises ou contradictoire avec le texte et ses modalités d’application - ont été renforcées par des négociations peu transparentes, sans précision spontanée sur les intentions pour certaines questions controversées.

Finalement, le texte final entre la Commission européenne et le Canada est un accord de nouvelle génération, un accord global («comprehensive») où l’on ne s’intéresse plus seulement à la baisse des droits de douane et aux barrières non tarifaires : l’accord touche à tous les aspects de la vie économique (investissement, marchés publics, télécommunications, commerce électronique,...), à l’environnement et à la santé. Le but affiché est de simplifier les échanges et de resserrer les liens entre l’Union européenne et le Canada dans toutes leurs dimensions.
Certaines préférences collectives, différentes, sont abordées. Ces différences sont reconnues légitimes : reconnaissance explicite du droit des parties à réglementer pour poursuivre des objectifs légitimes de politique publique, tant que ces mesures ne constituent pas un moyen de discrimination arbitraire ou du protectionnisme déguisé.

Le produit final est très difficile à lire et à synthétiser, reflétant la complexité des mécanismes et institutions prévus dans l’accord. Le texte du traité à proprement parler est complété par trois protocoles et plusieurs annexes pour préciser le contenu de l’accord, interpréter certaines dispositions, limiter la portée d’autres dispositions ou encore exposer des exceptions sur certains des engagements propres de l’Union européenne ou du Canada. La combinaison de ces textes représente un ensemble de plus de 2 300 pages, auxquelles il faut ajouter l’Instrument interprétatif commun et 38 déclarations.
L’Instrument interprétatif commun précise simplement et clairement l’interprétation commune qu’ont l’Union européenne et le Canada de nombreux domaines : droit à réglementer, coopération en matière de réglementation, protection des investissements, protection de l’environnement,... Son existence améliore la lisibilité de l’accord et, même si sa portée juridique peut soulever des questions, il devra être pris en compte par les juges devant régler un différend commercial entre les parties.

Sur le plan des institutions, l’accord met en place une multiplicité d’instances. Deux d’entre elles retiennent particulièrement l’attention : l’instance de règlement des différends investisseurs-Etats (ICS, Investment Court System) et le Forum de coopération réglementaire (FCR). Mais il y en a beaucoup d’autres : le comité mixte et une dizaine de comités spécialisés.

Le CETA est un accord dit vivant. C'est un accord-cadre évolutif : son contenu sera précisé et complété par les institutions de coopération qu’il crée. Cela évite de figer les relations entre l’Union européenne et le Canada, mais avec des incertitudes et des risques sur les évolutions : il est donc essentiel de veiller aux règles de fonctionnement dont se doteront les organes de coopération.

Conclusions.

  • Le texte de l’accord rappelle que les normes environnementales et sanitaires existantes en France et dans l’Union européenne ne doivent pas être mises en danger par le CETA. La capacité des États à réglementer dans le domaine de l’environnement et de la santé est donc préservée par principe. Mais, l’absence de citation explicite du principe de précaution européen crée une incertitude sur l’éventualité de contestation par le Canada de dispositifs futurs.

  • Il existe évidemment une tension entre le risque d’instrumentalisation protectionniste des politiques environnementales et sanitaires d’une part, et le risque que les intérêts privés ne remettent en cause les régulations publiques existantes et ne bloquent leur renforcement d’autre part. Ces risques n’ont rien de nouveau et l’intervention des intérêts privés dans la formulation des réglementations existe en l’absence du CETA. Mais il s’agit de savoir si le CETA aggrave ou non ce risque, en particulier à travers l’ICS et le FCR.

  • L’ICS n’est pas réellement utile dans les relations entre l’Union européenne et le Canada. Voulue par l'UE, sa seule justification solide est de traiter tous les partenaires commerciaux potentiels à égalité, et pour cela d’établir un cadre général pour les accords de libre-échange bilatéraux qu’elle va être amenée à négocier à l’avenir.

  • Le FCR est un forum de discussion visant à diminuer les différences de réglementations, sources de surcoûts et d’inefficacité. Pour des différences techniques ou l'harmonisation de méthodes de certification, d’évaluation de conformité ou des procédures de tests, l’existence de ce forum n’est pas critiquée. Mais pour l’environnement et la santé, les différences de réglementations reflètent des différences de préférences collectives nationales, et non des inefficacités qu’il faudrait éliminer. L’accord précise plusieurs fois qu’il n’y aura pas d’interférences et la coopération est volontaire (même si le partenaire qui refuserait de discuter d’une harmonisation serait tenu d’en donner la justification).

  • Au total, il est très difficile d’apprécier les conséquences de l’ICS et du FCR : le texte de l’accord semble donner toutes les garanties nécessaires,mais c’est dans leur fonctionnement concret que les risques existent.
    Pour le FCR, la solution est de vérifier l’absence de conflits d’intérêt lors de la désignation de ses membres, puis de veiller à la transparence des débats et des propositions qui y seront formulées.
    Pour éviter que le mécanisme de l’ICS ne pèse sur la capacité de chacun à réglementer, il faut ne laisser aucune ambigüité dans les normes que les tribunaux auront à appliquer.

  • Concernant l’agriculture, le secteur des produits laitiers transformés devrait bénéficier de la reconnaissance de nombreuses appellations géographiques tandis que l’accord entraînera une augmentation globalement limitée des importations européennes de viandes de porc et de bœuf canadiennes. Mais les conditions d’élevage diffèrent beaucoup entre l’Union européenne et le Canada.
    L’accord prévoit de créer au Canada une filière bovine spécifique garantie sans hormone pour l’exportation vers l’Union européenne et une filière porcine sans traitement à la ractopamine. Mais il est muet sur le bien-être animal, l’alimentation animale (farines animales ou non ?) et l’administration d’antibiotiques comme activateurs de croissance.
    En outre, si le CETA a valeur de modèle pour les accords régionaux futurs, il devient difficile de ne pas concéder aux nouveaux partenaires des contingents d’importation de viande plus élevés que ceux qui existent actuellement, ce qui pourra changer notablement l’échelle des problèmes.
    Le risque est que le CETA ne fournisse pas des conditions favorables aux objectifs de la transition écologique de l’agriculture (maintien de la place des prairies et de l’association polyculture-élevage notamment), en particulier dans le secteur de l’élevage bovin allaitant, déjà en difficulté depuis de nombreuses années.

  • La question des biotechnologies nécessite une vigilance particulière, notamment pour les nouvelles techniques de génie génétique qui pourraient être assimilées à la transgénèse et ainsi entrer dans le champ couvert par la réglementation OGM en Europe : le Canada a déjà décidé qu’elles ne relevaient pas de cette réglementation.

  • Les chapitres de l’accord concernant l’environnement ont le mérite d’exister mais ils ne contiennent aucun engagement contraignant : elles ne font que réaffirmer l’attachement des partenaires à l’environnement et au développement durable. Il ne s’agit pas ici de risques introduits par l’accord, mais plutôt d’opportunités manquées. Par exemple, il n’est pas fait mention d’engagements à diminuer les subventions dommageables à l’environnement, en particulier les subventions aux énergies fossiles et à la pêche. Or, le CETA se veut un modèle pour les accords futurs.

  • Le grand absent de l’accord est le climat dans :
    - la dimension purement commerciale : rien n’est prévu pour limiter le commerce des énergies fossiles et la hausse des émissions de CO2 du transport international maritime et aérien induite par l’augmentation des flux de commerce,
    - la dimension investissement : rien n’est prévu pour inciter à la mise au point et l’adoption de technologies moins émettrices de carbone, pas de clause d’exclusion pour les mesures relatives à la lutte contre le changement climatique dans l’ICS,
    - la dimension de la politique économique : rien sur la convergence des instruments de lutte contre le changement climatique.

Sur la base de ce constat, la commission formule les recommandations suivantes :

  • Assurer en continu la transparence, notamment vis-à-vis de la société civile, et l’équilibre des instances de coopération réglementaire.
  • Mettre en place un comité de suivi de l’application du CETA au niveau national
  • Compléter l’instrument de ratification par l’adoption (par la France) d’une déclaration interprétative précisant le sens qu’elle entend donner aux dispositions ou mécanismes dont la portée, dans les domaines sanitaire et environnemental, n’est pas suffisamment claire dans l’accord.
  • Instaurer un étiquetage informant le consommateur sur les modes de production des produits d’origine animale, au-delà du système « Né, élevé, abattu » : utilisation d’antibiotiques et activateurs de croissance, bien-être animal, environnement, caractère transgénique. Cela permettrait d’éviter que les règles adoptées puissent être attaquées au nom du principe de non-discrimination.
  • Renforcer les contrôles et les procédures de certification en matière animale (recherche d’hormones et de ractopamine sur les viandes / programmes de certification canadiens «sans hormones» et «sans ractopamine» ) et végétale (vérifier le respect des dérogations accordées pour l’importation de plusieurs espèces de bois).
  • Insister dans les négociations futures sur la nécessaire réciprocité. : «les intérêts commerciaux de l’UE supposent notamment d’assurer pleinement la défense et la promotion des normes sociales et environnementales et des normes dont bénéficient les consommateurs», des mesures-miroirs doivent être introduites dans les réglementations européennes afin d’éviter les distorsions induites par les accords de libre-échange.
  • Introduire un «veto» climatique sur la protection des investissements en cas de recours par un investisseur étranger au sujet d’une mesure de lutte contre le changement climatique.
  • Compenser les effets négatifs directs du CETA sur le climat par l’introduction de dispositifs complémentaires : négocier et conclure, en parallèle de la finalisation du CETA, un accord climatique entre l’UE et le Canada prévoyant notamment la neutralité du CETA en matière de gaz à effet de serre, l’interconnexion des marchés carbone et une taxation spécifique du transport maritime.
  • Inciter à la limitation de l’extraction des pétroles issus de schistes bitumineux : l’Union européenne devrait prévoir une révision de la Directive sur la qualité des carburants prenant pleinement en compte une différenciation des produits en fonction de la réalité des gaz à effets de serre émis.


Orientations pour les futurs accords. Les futurs accords commerciaux bilatéraux globaux doivent prendre en compte :

  • les aspects environnementaux en général et climatiques en particulier et intégrer les attentes sociétales en matière d’environnement, de santé et de bien-être animal,
  • le rôle central de l’agriculture dans la gestion des milieux et la production de biomasse
  • une totale transparence vis-à-vis de la société civile pour les mesures touchant aux enjeux environnementaux et sanitaires.

Source :

weblink www.gouvernement.fr/.../rapport_de_la_commission_devaluation_du_ceta_-_08.09.2017.pdf

 

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