Trop inertes ou trop pessimistes, les chercheurs en biodiversité et conservation de la nature ?
C’est le procès qui leur est souvent fait pour "justifier" que nous serions insouciants ou apeurés à agir pour l'environnement, malgré leurs travaux.
Pourtant, une étude à paraître pointe les vraies responsabilités : les scientifiques fournissent analyses et propositions… mais les décisions qui sont prises n’en tiennent pas compte !
En étudiant les 12 971 articles scientifiques parus dans les principales revues dédiées aux sciences de la conservation ces quinze dernières, deux chercheurs du CNRS ont voulu comprendre pourquoi la biodiversité reste menacée malgré les travaux de spécialistes de l’environnement partout dans le monde…
Le résultat confirme ce dont chacun est convaincu « sans preuve tangible » jusqu’à présent : des informations fiables sur la situation et sur ce qu’il faudrait faire pour protéger la nature sont données par les scientifiques depuis des décennies…
mais les politiques, eux, cherchent toujours à prendre des décisions qui favorisent les activités humaines, même si c’est au détriment de l’environnement.
On sait depuis 40 ans
Ainsi, c’est bien une somme de près de 13 000 articles de recherche qui ont été publiés ces 15 dernières années pour présenter les états des milieux naturels et des populations, identifier les menaces qui pèsent sur eux, proposer des solutions et des suivis d’évaluation des politiques de conservation.
Pire, cela fait 40 ans que ces écrits rendent publiques les quatre principales menaces qui pèsent encore aujourd’hui sur la biodiversité : sur-exploiter les ressources (surchasse ou surpêche, par exemple), fragmenter l’habitat des espèces, introduire des espèces invasives...
et observer sans réagir les extinctions en chaîne qui peuvent découler des trois premiers facteurs !
Aujourd’hui – faute d’avoir agi là aussi – s’ajoutent les dérèglements climatiques qui accentuent encore plus les déséquilibres des milieux naturels.
Une situation qui s’emballe, partout
Et n’allez pas croire que les études et les alertes lancées relèvent d’un « luxe lointain »...
Dans leur majorité, elles ne concernent pas de petites fleurs de la forêt amazonienne ou des papillons rarissimes en Asie, mais portent sur les écosystèmes européens.
Comme la mise en évidence de la chute des populations d’oiseaux dans les campagnes françaises ou du nombre d’insectes en Europe de l’Ouest (fait déjà noté par les automobilistes aux pare-brise intacts malgré 500 km de trajet)...
Et pourtant...
Quand ses alertes sont écoutées, la recherche en conservation porte ses fruits, avec une nette amélioration de situations de crise grâce à des mesures de protection et de simple « laisser faire la nature » pour le retour spontané d’espèces comme le loup en Europe.
Les sciences de la conservation ne sont donc ni pessimistes, ni optimistes, mais réalistes.
Selon les chercheurs, les propositions de solutions durables et compatibles avec les activités humaines ne manquent pas.
Le frein majeur réside dans la demande de compromis toujours plus favorables à l’exploitation plutôt qu’à la conservation, malgré des recommandations scientifiques habituellement plutôt prudentes, voire timides...
La tortue verte Chelonia mydas est un exemple positif de conservation active : après sa protection et l’arrêt de son commerce, les pontes sur l’île de l’Ascension – le plus grand site de ponte de l’espèce de l’Atlantique Sud – ont été 6 fois plus nombreuses en 2013 qu’en 1977.
©Thomas VIGNAUD - CNRS
Source :
Publication What conservation does de L. Godet et V. Devictor, parue dans Trends in Ecology and Evolution le 10 septembre 2018