Dans une publication parue fin juin, des chercheurs de l'Inra et de l'Inserm montrent qu'il existe bien un "effet cocktail" des pesticides à faible dose. Cette étude in vivo, faite sur des souris, démontre qu'une exposition orale chronique conduit à des perturbations métaboliques, différentes selon le sexe : les mâles exposés aux pesticides prennent du poids et deviennent diabétiques ; les femelles sont protégées de ces effets mais voient leur foie et leur appareil digestif se détraquer...
L’exposition aux pesticides - via notre environnement ou à travers l’alimentation - inquiète les citoyens sur ses conséquences pour leur santé.
Et les données épidémiologiques (basées sur des statistiques médicales regroupées en fonction des habitudes de vie) analysées ces dix dernières années leur donne bien raison de s'inquiéter : ces études statistiques révèlent un lien entre l’exposition aux pesticides et le développement de maladies métaboliques telles que l’obésité et ses complications, ou au contraire soulignent une probabilité plus faible de développer ces maladies en privilégiant une consommation importante d’aliments issus de l’agriculture biologique (dans laquelle les pesticides sont interdits).
Etudier l'effet d'un pesticide pour définir sa toxicité...
Il existe bien aussi des études expérimentales sur l'effet des pesticides.
Mais elle sont souvent menées avec un seul pesticide et à des doses élevées, et dans des conditions expérimentales particulières ou des situations spécifiques, en combinaison avec un autre facteur de risque (comme une alimentation enrichie en graisse par exemple).
Et ce sont les études pesticide par pesticide, en quantités variables sur des périodes définies, qui permettent aux agences de de sécurité sanitaire d'établir des "seuils" au delà duquel elles estiment qu'un pesticide particulier devient néfaste à la santé humaine dans des situations ponctuelles ("beaucoup une fois") ou à long terme ("peu mais longtemps").
Ainsi, la "dose journalière admissible" pour l’homme (DJA) est-elle définie pour chaque produit potentiellement nocif (donc aussi pour les pesticides) comme étant la dose - exprimée en mg par kg de poids corporel - qui peut être consommée tout au long de la vie via l’alimentation ou l’eau potable sans exercer d’effet nocif sur la santé.
Mais, à ce jour, aucune étude n'avait été faite sur une situation "banale" : être exposé à de faibles doses de plusieurs pesticides différents, en les avalant simultanément...
Or c'est ce qui arrive à tout consommateur de fruits ou légumes "traités" puisque son alimentation contient des résidus de différents pesticides puisqu'une partie des insecticides et des antifongiques utilisés pour la culture et la conservation des végétaux est toujours présente en surface ou à l'intérieur des fruits et légumes au moment de les manger !
Une première étude sur la consommation simultanée à faible dose de 6 pesticides courants
Pour tester les effets de cette consommation involontaire d'un mix de résidus de pesticide - et le soupçon que ce mélange additionne les dégâts - les chercheurs ont soumis des souris à une alimentation qui contenait de faibles doses de plusieurs pesticides.
Les pesticides ainsi avalés par les souris dans cette étude correspondent aux six pesticides couramment utilisés pour traiter les pommiers en France.
Mais les pesticides choisis n'ont rien de particulièrement "français" : ce sont ceux que l'agence européenne de sécurité alimentaire (European Food Safety Authority - EFSA) mentionnait avoir régulièrement trouvé sur les pommes en Europe dans un rapport paru en 2015.
Et - toujours d'après ce rapport de l'EFSA - les pommes ne sont pas non plus les seules productions porteuses de résidus en quantité dépassant les seuils réputés "admissibles"...
Les chercheurs ont donc incorporé dans l'alimentation des souris du ziram, du thiophanate, du captan, du chlorpyrifos, du boscalid et du thiachlopride en doses journalières équivalentes à celles que l'on juge admissibles pour l'être humain :
Pour évaluer les conséquences de l’exposition à ce cocktail de pesticides à faible dose, les chercheurs ont étudié différents paramètres de la santé de leurs souris : leur poids corporel, leur tolérance au glucose, les éléments présents dans leur sang et leurs urines, ainsi que le métabolisme de leur foie.
L'étude a duré un an - ce qui est long par rapport à l'espérance de vie d'une souris - pour pouvoir "transposer" sur l'homme des effets à long terme.
Des résultats (très) inquiétants
Le métabolisme de toutes les souris a été endommagé
Soumises à la consommation de ce mélange de pesticides pendant un an, les souris ont toutes réagi en présentant des troubles métaboliques significatifs.
Pourtant, les doses étaient celles jugées "admissibles" pour chaque pesticide pris isolément.
Ces troubles proviendraient donc bien d'un "effet cocktail" qui intensifie l'action de ces produits dans l'organisme soit parce qu'ils ont tendance à produire des effets similaires, soit parce que leur présence simultanée permet des phénomènes impossibles avec un seul des pesticides.
Les troubles métaboliques qui apparaissent sont différents pour les mâles et les femelles
Les mâles présentent un diabète, une accumulation de graisses dans le foie (stéatose) et un surpoids significatif. Dis autrement : ils ont anormalement grossi et leur foie ainsi que leur système de régulation des sucres se sont détraqués.
Les femelles montrent des perturbations hépatiques (stress oxydant) et une modification de l’activité du microbiote intestinal. Dis autrement : leur foie et leur système digestif se sont détraqués.
D'après les chercheurs - qui vont maintenant étudier cela de plus près - cette différence est probablement due au fait que mâles et femelles gèrent différemment la toxicité des pesticides et ceci, notamment au niveau du foie où la réponse en termes de mécanismes moléculaires serait différente.
Ces résultats confortent les résultats obtenus dans les études épidémiologiques et démontrent pour la première fois un lien "scientifiquement mesurable", sur des animaux qui ont un organisme assez comparable à celui des êtres humains, entre l'ingestion de pesticides en doses faibles et la survenue de maladies métaboliques comme le diabète de type 2 ou la stéatose hépatique...
Il reste désormais à abaisser les seuils jugés tolérables pour préserver les consommateurs de cet effet "cocktail" qui n'a rien d'imaginaire... et pourrait d'ailleurs expliquer l'explosion du nombre de cas de diabètes et autres maladies métaboliques des dernières décennies !
Mais, sachant qu'il serait titanesque d'expérimenter toutes les combinaisons de pesticides possible... et illusoire de penser un consommateur puisse "sélectionner" en toute connaissance de cause les résidus qu'il consomme dans son alimentation à partir du moment où des pesticides sont autorisés, la seule solution "sanitairement acceptable" n'est-elle pas tout simplement de les interdire ?
Sources :
Publication Metabolic Effects of a Chronic Dietary Exposure to a Low-Dose Pesticide Cocktail in Mice: Sexual Dimorphism and Role of the Constitutive Androstane Receptor (Céline Lukowicz & al.) dans la revue Environmental Health Perspectives du 25 juin 2018 ( télécharger l'article en PDF)
Rapport de l'agence européenne de sécurité alimentaire (European Food Safety Authority - EFSA) The 2013 European Union report on pesticide residues in food - paru dans EFSA Journal en février 2015