A la demande d'Alsace Nature, le Tribunal administratif de Strasbourg devait rendre sa décision sur l'arrêté autorisant les travaux de GCO par VINCI (via sa filiale ARCOS), suite à l'audience du 19 septembre.
La décision, rendue le 25 septembre, a rejeté la demande de suspension de l'arrêté malgré "un doute sérieux sur la légalité de la décision" au motif que "l’exécution des travaux préparatoires est en cours et s’accompagne de troubles à l’ordre public nécessitant la présence des forces de l’ordre".
Par son arrêté préfectoral signé le 31 août 2018, le Préfet du Bas-Rhin autorise Vinci à réaliser le GCO.
(arrêtés préfectoraux disponibles en PDF là)
Cet arrêté comporte une description de la réalisation des voies, mais aussi des mesures environnementales associées à ce projet qui a nécessité une dérogation à la Loi sur l'eau et une dérogation à la Protection des espèces.
Ce projet ayant été autorisé
- malgré un risque pour les cours d'eau et la nappe phréatique,
- et malgré l'interdiction de porter atteinte aux espèces protégées et à leurs habitats,
le concessionnaire doit présenter un dossier environnemental très détaillé, présentant :
- une démonstration que le tracé final était le meilleur possible (sans alternative moins destructive pour l'environnement existant)
- les précautions particulières qu'il compte prendre pendant les travaux puis l'exploitation de l'autoroute pendant les 54 années que dure la concession
- la liste exhaustive et détaillée des impacts sur l'eau et l'environnement faune / flore tout au long du tracé (en précisant comment les impacts sont évalués)
- comment il compte compenser point par point ces impacts
- comment il compte suivre dans le temps l'évolution de l'environnement qu'il a impacté (où / comment / avec quels moyens humains et techniques)
Ces compensations environnementales sont des réalisations complémentaires aux voies elles-mêmes : créer des passages à faune sur ou sous les voies, créer des bassins de rétention d'eau, recréer des zones humides pour remplacer celles qui sont détruites, reboiser au moins autant d'hectares de forêts que celles qui sot abattues pour les besoins de la construction,...
la liste est très longue car l'impact est énorme !
Mais, justement, Alsace Nature attaque la légalité de cette autorisation en soulignant notamment
- que la liste n'est pas assez longue (plusieurs aspects ont été négligés ou mal mesurés),
- que les "mesures compensatoires" ne répondront pas pleinement aux promesses faites,
- que les données fournies par Vinci datent du début des années 2000 et ne sont plus pertinentes.
Et, en effet, en 20 ans, les scientifiques nous ont appris beaucoup sur les conditions de survie des espèces animales menacées, sur l'importance de la présence des espèces animales et végétales ordinaires, sur la fragilité de la ressource en eau (la nappe phréatique alsacienne est très proche de la surface et alimente en eau potable bon nombre d'habitants de la plaine), sur les effets secondaires de la pollution par les gaz d'échappement à la fois localement et sur le climat,...
On a appris également depuis la naissance de ce projet en 1973 que créer de nouvelles routes ne règle pas durablement les problèmes d'embouteillages... et qu'avec la configuration géographique de Strasbourg et la typologie des trafics routiers à son abord, un contournement n'aura pas d'effet notoire sur cet aspect.
Par contre, au contraire, le GCO deviendra probablement un "couloir à camions" de niveau européen... ce qui ne va pas améliorer la qualité de l'air - déjà très dégradée - de l'Alsace et notamment à Strasbourg.
A Strasbourg, le "Grand Contournement Ouest" (GCO) pose questions...
Les trois juges du Tribunal administratif - contre un seul en temps normal - devaient donc dire ici s'ils suspendent ou non l'autorisation donnée, en se basant sur la légalité des documents apportés : un deuxième jugement, sur le fond du dossiers, aura lieu dans quelques mois.
Un dossier d’aménagement peut être mis en cause sur plusieurs aspects
- la forme : il manque un document, bidule n’avait pas le droit de signer ça, un rapport ne prouve pas ce qu’il est censé démontrer,...
- le fond : les impacts ne sont pas tous pris en compte, les mesures de compensations ne sont pas adaptées ou pas suffisantes, l’aménageur n’a pas les moyens de suivre l’évolution des impacts sur le long terme,...)
Il s'agissait ici d'un recours sur la forme, visant les documents fournis
Communiqué de presse du Tribunal administratif de Strasbourg
Strasbourg, le 25 septembre 2018
"Les juges des référés du Tribunal administratif de Strasbourg rejettent la requête de l’association Alsace Nature demandant la suspension de l’arrêté du préfet du Bas‐Rhin du 30 août 2018 portant autorisation unique, au titre de la loi sur l’eau et de la législation relative à la protection des espèces, pour la construction de l’autoroute de contournement ouest de Strasbourg dit « GCO » (A355).
Alors que la requête en référé suspension n’était pas soumise à la satisfaction d’une condition d’urgence eu égard aux conclusions défavorables de la commission chargée de l’enquête publique, les juges des référés ont identifié un moyen propre à créer en l’état de l’instruction un doute sérieux sur la légalité de la décision. En effet, une dérogation au principe de conservation des espèces protégées implique notamment que ce projet réponde à une « raison impérative d’intérêt public majeur » en application de l’article L.411‐2 du code de l’environnement, cette condition devant, à l’inverse des motifs de l’arrêté attaqué, s’apprécier sans prise en compte des « mesures d’évitement, de réduction et de compensation des atteintes aux espèces protégées » (cf. Conseil d’Etat 25 mai 2018 n° 413267).
Toutefois, les juges des référés ont relevé que les travaux de construction de l'autoroute A 355, déclarés d’utilité publique et urgents par un décret dont la légalité a été confirmée par le Conseil d’Etat statuant au contentieux (CE 17 mars 2010, n° 314114 et svts), poursuivent un objectif d’aménagement du territoire et tendent notamment à la réduction des impacts de la traversée de l’agglomération strasbourgeoise par l’A 35, à l’amélioration et à la sécurité de la circulation et au développement économique et social des territoires concernés. Le tribunal a également relevé que l’exécution des travaux préparatoires est en cours et s’accompagne de troubles à l’ordre public nécessitant la présence des forces de l’ordre. Dans ces conditions, et alors au demeurant que le motif d’illégalité susmentionné est aisément régularisable par l’administration dans la mesure où les défendeurs justifient les éléments constituant des raisons impératives d’intérêt public majeur au sens de l’article L.411‐2 précité, les juges des référés ont considéré que la suspension de l’arrêté porterait une atteinte d’une particulière gravité à l’intérêt général, faisant application à l’espèce de la jurisprudence « Conflans Ste Honorine » (CE 16 avril 2012, n°355792, 355867). Aussi les juges des référés ont‐ils rejeté la requête."
Communiqué de presse du 25 septembre 2018
"Décryptage" de l'ordonnance du Tribunal administratif de Strasbourg du 25 septembre 2018
Les arguments des uns et des autres ne sont pas ici exagérément détaillés ou résumés selon qui parle : ils reflètent les exposés repris dans l'ordonnance.
Argumentation d'Alsace Nature :
- il faut une décision en urgence car l’imminence des travaux est incontestable ;
- la légalité de la décision peut être mise en doute car l’instruction du dossier - qui devait en principe durer 5 mois - a en réalité été menée sur plus de 12 mois, et avec trois demandes successives de compléments ;
- l’étude d’impact est insuffisante : l’autorisation unique devait faire l’objet d’une évaluation environnementale or le maître d’ouvrage a "simplement" fait valoir l’étude d’impact accompagnant le décret du 23 janvier 2008 déclarant les travaux d’utilité publique ;
- le projet a été artificiellement scindé en deux tronçons nord et sud confiés à la société SANEF et à la société Arcos et les dossiers n’ont pas présenté l’impact global du projet ;
- les impacts liés à l’aménagement foncier des terres agricoles autour du tracé (sur 11 000 hectares, soit 110 km2) qui est un effet indirect du projet n'ont pas été présentés : le public, les commissions d’enquête, le service instructeur et les autorités ministérielles ont donc été mal informées ;
- le contenu de l’étude d’impact jointe à la demande d’autorisation environnementale n’est pas conforme au code de l’environnement et ne présente notamment aucune appréciation qualitative :
- de l’état de conservation de la biodiversité,
- des trafics et besoins de déplacements,
- de l'évolution probable de l'environnement en l'absence de mise en œuvre du projet,
- des incidences notables que le projet peut avoir sur l'environnement :
- sur l'utilisation des ressources naturelles,
- sur les effets du projet sur la biodiversité dans son ensemble incluant la « nature ordinaire »,
- sur les impacts sur les continuités écologiques alors que l’on observe la fragmentation de ces sept corridors écologiques par le projet,
- sur les émissions de polluants à long terme, avec la non-prise en compte des nouvelles connaissances sur la pollution par les véhicules diesel,
- sur la santé humaine et les impacts d’une exposition de 70 ans,
- sur l’analyse du cumul des incidences avec d'autres projets existants ou approuvés,
- sur les incidences du projet sur le climat et sur la vulnérabilité du projet au changement climatique avec la non-prise en compte du protoxyde d’azote émis par les véhicules diesel ; - il n’est pas présenté des solutions de substitution raisonnables ;
- le coût des mesures compensatoires n’est pas estimé et n’a pas été actualisé ;
- le volet spécifique à une infrastructure de transport est insuffisant ;
- les conséquences prévisibles du projet sur le développement de l’urbanisation ne sont pas abordées ;
- le principe de participation du public aux décisions ayant une incidence sur l’environnement n'a pas été respecté : l’autorisation unique environnementale a en fait été accordée à la société Arcos dès le 23 janvier 2018, avant l’enquête publique, ainsi que le montrent les déclarations du ministre en charge de l’environnement ;
- plusieurs articles spécifiques du code de l’environnement n'ont pas été respectés à cause de l’enchevêtrement des enquêtes et de l’inintelligibilité du dossier, de la nécessité de mise en compatibilité de sept documents d’urbanisme communaux qui n’avaient pas été adoptés avant l’autorisation de travaux ;
- les mesures de compensation proposées ne démontrent pas
- le respect du principe d’équivalence écologique sur les volets eaux et milieux aquatiques (en compensation des surfaces détruites et impactées)
- leur faisabilité technique et financière ;
- de mesures concernant les espèces « ordinaires » ;
- l’absence de perte nette de biodiversité, voire de gain de biodiversité ;
- la compatibilité avec la gestion du bassin Rhin-Meuse car les mesures compensatoires ne présentent pas de résultats précis à atteindre ;
- l’effectivité et la pérennité des mesures compensatoires pendant toute la durée des impacts
- le préfet a commis une erreur de droit en invoquant des « raisons impératives d'intérêt public majeur » car un projet d’utilité publique ne relève pas nécessairement de la catégorie des projets justifiant d’un intérêt public majeur.
Arguments de la société Arcos (Vinci)
- il faut rejeter la requête ;
- la condition d’urgence ne peut pas s’appliquer car il faut en fait considérer l’avis négatif rendu par la commission d’enquête comme un "avis favorable avec réserve" ;
- il n'y a pas de doute sérieux sur la légalité de l’arrêté d'autorisation ;
- il faut mettre à la charge de l’association Alsace Nature une somme de 3 000 €.
Le préfet du Bas-Rhin, Jean-Luc Marx, demande lui aussi le rejet de la requête en disant qu'il n'y a pas de doute sérieux sur la légalité de l’arrêté d'autorisation.
Le Tribunal considère :
1. Qu'il peut écarter, à titre exceptionnel, une demande de suspension d’exécution d’une décision prise après avis défavorable du commissaire-enquêteur ou de la commission d’enquête, même si l’un des arguments invoqués crée un doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée, si cela porte gravement atteinte à l’intérêt général.
2. L'avis défavorable de la commission d’enquête du 25 juin 2018 repose sur des justifications suffisamment importantes et clairement critiques qu'il ne permet pas, contrairement à ce que soutient la société Arcos, de le regarder comme étant "favorable, avec réserves" au projet.
3. Les interdictions du code de l’environnement visant à assurer la conservation d'espèces animales ou végétales protégées et de leurs habitats
(pour les animaux : destruction ou l’enlèvement d'œufs ou de nids, mutilation, destruction, capture ou enlèvement, perturbation intentionnelle, naturalisation d’animaux ou - qu’ils soient vivants ou morts - leur transport, utilisation, détention, mise en vente, vente ou achat / pour les végétaux : destruction, coupe, mutilation, arrachage, cueillette ou enlèvement, transport, utilisation, mise en vente, vente ou achat, détention de spécimens prélevés dans le milieu naturel)
sont possibles si l’autorité administrative a délivré des dérogations après avoir vérifié que les trois conditions suivantes sont (toutes) remplies :
- 1. absence de solution alternative satisfaisante ;
- 2. ne pas nuire « au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle » ;
- 3. justification de la dérogation par l’un des cinq motifs possibles dont « c) (...) l’intérêt de la santé et de la sécurité publiques ou (pour) d’autres raisons impératives d’intérêt public majeur, y compris de nature sociale ou économique, et (pour) des motifs qui comporteraient des conséquences bénéfiques primordiales pour l’environnement ».
4. Un projet d’aménagement ou de construction susceptible d’affecter la conservation d'espèces animales ou végétales protégées et de leurs habitats ne peut être autorisé, à titre dérogatoire, que s’il répond à une raison impérative d’intérêt public majeur. Mais que même dans ce cas, le projet ne peut être autorisé en tenant compte des mesures de réduction et de compensation prévues que s'il n’existe pas d’autre solution satisfaisante et si cette dérogation ne nuit pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle.
5. L’arrêté indique que les effets socio-économiques et le compensations permettent de concilier les différents enjeux en présence, le projet constitue une raison impérative d'intérêt public majeur (« qu'eu égard aux effets socio-économiques attendus et aux mesures d'évitement, de réduction et de compensation décrites dans le présent arrêté, qui permettent de concilier les différents enjeux en présence, le projet constitue une raison impérative d'intérêt public majeur »),
mais le préfet a commis une erreur de droit en tenant compte des mesures d’évitement, de réduction et de compensation pour justifier de raisons impératives d’intérêt public majeur autorisant une dérogation à la conservation d'espèces animales ou végétales protégées et de leurs habitats, ce qui crée un doute sérieux sur la légalité de l’arrêté attaqué.
6. Les travaux de construction de l'autoroute A355 autorisés par l’arrêté ont été déclarés d’utilité publique et urgents par décret et poursuivent un objectif d’aménagement du territoire tendant notamment à la réduction des impacts de la traversée de l’agglomération strasbourgeoise par l’A35, à l’amélioration et à la sécurité de la circulation et au développement économique et social des territoires concernés.
L’exécution des travaux préparatoires est en cours et s’accompagne de troubles à l’ordre public nécessitant la présence des forces de l’ordre.
Dans ces conditions, et parce que le motif d’illégalité susmentionné est aisément régularisable par l’administration car le Préfet et Arcos avancent des raisons impératives d’intérêt public majeur, la suspension de l’arrêté porterait une atteinte d’une particulière gravité à l’intérêt général.
Il y a lieu dès lors, à titre exceptionnel, de rejeter la requête qui tend à cette suspension.
7. Il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire application des dispositions financières du code de justice administrative.
Et ordonne :
Article 1er : le rejet de la suspension de l'arrêté autorisant les travaux demandée par l’association Alsace Nature.
Article 2 : le rejat de la demande de 3000 € de la société Arcos payables par Alsace Nature.
Article 3 : La notification de la présente ordonnance à l’association Alsace Nature, à la société Arcos et au ministre de la transition écologique et solidaire. Copie en sera adressée au préfet du Bas-Rhin.
Ordonnance TA du 25 septembre 2018
Informations complémentaires :
- GCO de Strasbourg vs circulation autour de Strasbourg et en Alsace
(descriptions et liens vers différents PDF de rapports officiels) - GCO de Strasbourg : les autorisations signées par le Préfet du Bas-Rhin fin août 2018
(liens vers les PDF des autorisations et des annexes) - GCO de Strasbourg : les conclusions de l'enquête publique - juin 2018
- Cette décision "inhabituelle" a donné lieu à de nombreuses réactions politiques et à de nouvelles manifestations pacifiques, le soir même et dans les jours qui ont suivi
(voir GCO de Strasbourg : une opposition très soutenue)