En Alsace, un projet d'autoroute contournant Strasbourg - le "Grand Contournement Ouest" ou GCO - "mijote" depuis 1973 et soulève depuis 20 ans l'opposition d'un Collectif d'associations et de citoyens pour des raisons écologiques.
Pourtant, un jour, ça y est, "le chantier est lancé". C'était il y a quelques jours.
Devant 700 opposants rassemblés après des heurts avec les gendarmes le matin même, Dominique Jacques Roth, membre du Collectif, s'est adressé aux forces de l'ordre...
" Suite aux événements de ces derniers jours, nous nous adressons à vous, forces de l’ordre, CRS et gendarmes, qui ici, à Kolbsheim, sur ordre de votre hiérarchie, administrez la violence qu’on vous ordonne.
Les questions que nous vous soumettons sont les suivantes.
Qu’en est-il d’une démocratie qui fait gazer des maires, des députés nationaux et européens, et matraquer les personnes assises, sans défense, quand la référence à la loi ne constitue plus qu’un argument formel au service d’une multinationale qui, lorsqu’elle enfreint lois et arrêtés, n’est pas poursuivie ? Une telle démocratie est-elle encore légitime ?
A la violence physique dont vous usez pour neutraliser la population révoltée, nous opposons une parole nue puisque, au fond, contrairement aux animaux, notre humanité fait d’abord de nous des êtres de langage !
Faut-il rappeler que dans la Grèce Antique, n’importe quel citoyen pouvait attaquer l’auteur d’une loi illégitime ? Les oligarchies néolibérales l’interdisent pour maintenir leurs privilèges.
Avec le collectif « GCO non merci » et Martine Wonner, députée et psychiatre, nous ne croyons pas que vous accomplissiez cette besogne avec plaisir. Mais qu’en ces temps de chômage, c’est peut-être là la seule activité que vous ayez trouvée pour faire vivre votre famille et vos enfants.
Enfants qui, comme vous, souffriront de la violence que le néolibéralisme exerce sur nous tous.
Car vous aussi - nous le voyons bien dans vos yeux - vous trouvez projetés dans l’abîme d’une violence qui vous épuise et qui partout, entre nations, contre les animaux, au sein des entreprises et des administrations, dans les couples, contre les réfugiés, entre ethnies, contre la nature… s’instille partout, contrariant la promesse d’un progrès garant d’harmonie, la fameuse promesse des Lumières.
La spéculation à outrance, l’extermination des populations animales et de la flore, les cyclones dévastateurs, les inondations qui se multiplient, les sécheresses mortelles sont les symptômes d’une crise de civilisation.
Nos élites préfèrent privatiser la chose publique, au détriment de l’intérêt général. Nos sociétés modernes évoluent sous la pression des multinationales émancipées de la tutelle des Etats à leur botte.
A l’utilité sociale se substitue la distribution de dividendes aux actionnaires, quitte à emprunter pour pouvoir le faire. Voilà où nous en sommes !
L’obsession de la croissance au profit d’une minorité de milliardaires avides d’un pouvoir sans utilité, se fiche du bien commun, alors que les drames humains, environnementaux et climatiques s’aggravent et se multiplient.
Que 90% des vers de terre aient disparu n’est pas visible aux yeux. Mais nos sols, gavés d’intrants chimiques, sont morts. Vous-mêmes, sans le savoir, avez des pesticides dans vos cheveux.
Souhaitez-vous être les esclaves d’une forme de développement qui - dans son essence - exige l’indifférence aux conséquences humaines de son activité ?
La déliquescence démocratique est celle qui interdit de porter assistance aux gens affolés en les gazant, migrants ou populations révoltées, pour accroître leur détresse.
L’économie moderne qui prépare l’écocide de la planète sous l’alibi d’un green washing rentable tel le GCO est le syndrome mortel qui couve, sous des discours lénifiants appelant à la vertu (responsabilité, pérennité, sécurité) alors que les pôles fondent et que certains y voient même une aubaine.
Ne vivrions-nous plus que pour satisfaire la jouissance imbécile des louangeurs néolibéraux ?
L‘eau, l’air, la nourriture sont pollués ; et les espèces disparaissent sans que les Gouvernements de la planète revoient leurs fondamentaux.
Sous l’alibi spécieux d’un réalisme à court terme et à gros renfort de communication mensongère, ils tiennent l’intelligence du cœur pour rien.
Est-ce cet ordre-là que vous souhaitez servir ?
Les Etats serviles ne contrôlent plus les multinationales toutes-puissantes. Et loin d’être fondatrice, la violence concurrentielle - devenue institutionnelle - détruit sans complexe l’esprit même du "vivre ensemble" depuis que madame Thatcher a osé dire qu’il n’y avait pas de société.
Le saccage suicidaire de la nature auquel vous participez, l’incapacité de la science à refroidir le climat, à résorber les déchets nucléaires toxiques pour des dizaines de milliers d’années nous donnent un petit aperçu de la pulsion de mort consubstantielle à un capitalisme dévastateur.
Au lieu d’en tirer les conséquences, aujourd’hui, l’Etat français ou son Préfet, n’hésite pas faire à gazer des élus municipaux, nationaux ou européens pour peu qu’ils s’insurgent contre la loi, qui n’est…. une loi républicaine qu’en apparence, dictée en sous-main par des lobbies sans scrupule.
Ce que vous croyez être l’ordre, crée en réalité les conditions de possibilité d’un désordre planétaire, d’une terreur blanche au service d’un jeu inégal de domination dans lequel les multinationales tiennent les rênes et dictent leurs conditions aux Etats.
Alors que le Préfet Marx parlait d’une tradition de dialogue dans notre région, la violence qu'il vous est demandé d’exercer sur une population aux mains nues, aura au moins servi à mettre le projecteur sur ce qui est en jeu en Alsace.
Est-ce dans une telle société que vous souhaitez vivre ?
Nous vous laisserons sur cette question et cette nuit, peut-être, dans vos rêves, gazerez-vous vos illusions et frapperez-vous de vos matraques les marchés financiers tout puissants !
Merci de votre attention et de votre présence ! "
Dominique Jacques Roth, psychanalyste et auteur, membre du collectif "GCO non merci"