Miguel Cañete sera peut-être effectivement validé un jour à un poste à total contre-emploi à la Commission européenne. Comment l'Europe peut-elle se retrouver avec un Commissaire Climat-Energie qui est un baron du pétrole réputé pour ses décisions contre l'environnement ? C'est sur-réaliste...
Mais c'est ce qui arrive quand on doit - démocratiquement - composer une équipe de sport collectif avec plusieurs joueurs égocentriques.
Voici le processus - plus ouvert que jamais - qui régit la formation de la nouvelle Commission, avec un décryptage "2014".
En cas de Commission "mal ficelée", on ne pourra qu'en vouloir aux Etats membres et aux députés qui pensent "pays" et "parti" avant de penser compétences et communauté. Mais rien n'est encore joué à ce jour...
Le processus menant à la formation de la Commission européenne a changé depuis les dernières élections européennes car le traité de Lisbonne de 2009 est désormais en application.
Grille de lecture |
étape processus décidé par le traité de Lisbonne de 2009 ce qui se passe actuellement |
1ère étape : tenir compte des élections européennes
Pour refléter les votes des citoyens, le président de la Commission est désormais le chef de file du parti politique européen arrivé en tête aux élections européennes.
Il y a eu 42,54% de votants aux élections européennes de mai 2014 en Europe.
Les conservateurs du PPE sont arrivés en tête avec 212 députés européens sur 751.
Le président de la Commision doit donc être l'un des élus du PPE.
Remarque : les 57% d'Européens qui n'ont pas voté devraient se demander s'il est bien normal qu'ils se permettent de critiquer maintenant ce qui se passe à Bruxelles !
2ème étape : élire un président pour la nouvelle Commission
Le nom du futur Président de la Commission est proposé par le Conseil européen, pour un mandat de 5 ans.
Le Parlement européen doit valider cette proposition à la majorité qualifiée (c'est-à-dire avec au moins 376 voix sur 751).
Le parti européen PPE étant arrivé en tête aux élections européennes, c'est son chef de file Jean-Claude Juncker qui a été proposé comme Président de la Commission par le Conseil européen.
Après présentation de son programme pour les 5 ans à venir, Jean-Claude Juncker a été élu président, à bulletins secrets, le 15 juillet 2014 par le Parlement européen avec 422 voix en sa faveur, 250 contre, 47 abstentions et 10 votes non valides.
Remarque : on remercie au passage les 57 élus qui ont donc trouvé normal de ne pas exprimer un avis : être élu représentant par son peuple et ne pas s'exprimer est un affront aux électeurs....
3ème étape : le Président élu propose son Collège de Commissaires européens, avec leurs attributions
Le Président élu doit composer un Collège de "candidats - commissaires" pour former sa future Commission, sur le principe "1 état membre = 1 commissaire".
Avec 28 pays membres, le Collège est forcément large (27 commissaires en plus du président), et très empreint à ce stade de la notion de "pays d'origine".
Par ailleurs, la marge de manoeuvre du président élu est relativement faible : il ne choisit pas totalement son équipe de candidats- commissaires mais doit faire "coller" ces personnes et leurs compétences avec son programme et la structure opérationnelle qu'il veut mettre en oeuvre (l'organisation des différents porte-feuilles).
C'est d'autant moins évident quand des gouvernements nationaux y ajoutent une "demande" appuyée de voir la personne désignée assignée à telle ou telle fonction...
Les 27 gouvernements ont chacun préparé et désigné à M. Juncker un candidat-commissaire : la France a "envoyé à la Commission" Pierre Moscovici, l'Allemagne Günther Oettinger, l'Espagne Miguel Arias Cañete, le Portugal Carlos Moedas, la Hongrie Tibor Navracsis, etc.
Remarque : logiquement (mais ce serait discutable dans l'absolu ! ), chaque gouvernement a désigné quelqu'un issu de son parti politique... et surtout des hommes puisque seuls 9 pays lui ont proposé une femme.
Après s'être entretenu avec les commissaires désignés début septembre, Jean-Claude Juncker a fait valider sa "liste des 27" par l'ensemble des chefs d'état (le Conseil de l’Union européenne) le 5 septembre.
Le 10 septembre, il a ensuite annoncé la structure de sa Commission (articulée autour de 7 vice-présidents) et les personnes proposées à chaque portefeuille.
4ème étape : l'évaluation des candidats-Commissaires
Pour l'instant, personne - à part le président - n'est désigné définitivement.
Chaque candidat-commissaire reçoit un "ordre de mission" de M. Juncker - une lettre détaille les rôles de chacun et de quelle façon son travail s'articulera avec les autres Commissaires et services européens - et sa "candidature" va être évaluée par le Parlement Européen (en fait, par une ou plusieurs commissions thématiques du Parlement européen, compétentes pour son portefeuille).
Etape préliminaire pour chaque candidat : les écrits.
Chaque candidat dépose un CV, une déclaration d'intérêts financiers (sur les 10 dernières années, pour lui et sa famille proche) et une réponse écrite à 5 questions (3 sur l'Europe, 2 sur son portefeuille particulier).
Ensuite, chaque candidat passe une audition.
Ce "grand oral" de trois heures permet aux membres des commissions parlementaires responsables du portefeuille qui lui a été attribué de lui faire préciser certains points. Après un discours d'ouverture, le candidat répond aux questions qui lui sont posées.
Après l'audition, dans les 24h, la commission parlementaire responsable finalise son évaluation. Elle peut demander plus d'informations par écrit et/ou demander un délai supplémentaire de réflexion.
Enfin, un rapport d'évaluation personnel de chaque candidat est envoyé à la Conférence des présidents des commissions parlementaires et à la Conférence des présidents du Parlement européen.
Elles peuvent décider de demander de plus amples informations avant de déclarer que les auditions sont closes.
Toute cette procédure est publique : les documents fournis par les candidats sont en ligne sur les sites internet du Parlement européen et de la Commission ; les auditions sont diffusées en direct via internet et les vidéos des auditions restent accessibles.
Être ainsi auditionné et évalué en public avant d'accéder à un poste de responsabilité politique est une grande première démocratique en Europe ! (Quel gouvernement national le fait ? )
C'est un point majeur du nouveau processus de décision, très important pour l'Europe qui fonctionne sur la base de compromis et la légitimité vis-à-vis de ses pairs.
Les auditions par des parlementaires, devant l'ensemble des citoyens européens, a une conséquence démocratique importante : ils se savent écoutés et jugés sur leur rôle actif.
Après avoir pu lui poser des questions, chaque parlementaire européen vote pour ou contre le candidat. Et la candidature est validé s'il emporte la majorité des suffrages.
Plusieurs candidats-commissaires ont été mis en difficulté lors des auditions d'octobre 2014, sur des questions de fond.
La slovène Alenka Bratusek (qui s'était auto-nominée à la faveur d'un flou politique dans son pays) n'a pas convaincu pour la vice-présidence Energie. Elle a devancé son échec à l'audition et a démissionné quelques heures après l'audition. |
|
Le hongrois Tibor Navracsics (désigné pour l'éducation, la culture, la jeunesse et la citoyenneté) n'a convaincu ni sur son engagement pour l'Europe ni sur l'aspect "citoyenneté" de son portefeuille. Il faut dire qu'il a un certain passif : dans son pays d'origine, en tant que membre du gouvernement Orban, il a cautionné une atteinte systématique aux droits fondamentaux, à la démocratie et à la justice jusque très récemment. Il a cependant passé l'épreuve des auditions, à condition d'exclure la citoyenneté de ses missions. |
|
Pour deux autres candidats "polémiques", le processus a été faussé du fait de leur coloration politique. |
|
Les critiques ont très vite fusé autour du socialiste Pierre Moscovici (désigné pour les Affaires économiques et financières, la fiscalité et l'Union douanière, suite à l'insistance de la France d'avoir des responsabilités économiques) et du conservateur Miguel Cañete (désigné pour l'action pour le Climat et l'énergie. Quand le ton a commencé à monter, les partis politiques européens socialiste et conservateur ont trouvé LA solution (!) : "vous laissez passer Moscovici, nous laissons passer Cañete " ! Et de fait, malgré des auditions très animées et des réponses parfois très peu convaincantes - incluant quelques mensonges éhontés ! - les membres socialistes et conservateurs des commissions responsables des auditions ont approuvé Moscovici (44 voix pour / 12 contre / 3 abstentions, après des questions écrites complémentaires) et Cañete (83 voix pour / 42 contre / 3 abstentions). Néanmoins, les auditions ont recadré le tir pour Miguel Cañete : il est approuvé mais sans dossiers "développement durable" et devra agir sous le regard du Premier vice-président (socialiste) Frans Timmermans. |
5ème étape : la validation (ou non) de "la Commission dans son ensemble" par le Parlement européen
La "photo de famille", après ajustements éventuels suite aux auditions, doit être validée (ou pas) par le Parlement européen. Mais il ne peut pas rejeter un Commissaire individuellement, c'est la proposition globale (personnages et fonctions) qui est soumise au vote. En résumé "ça passe ou ça casse !".
Initialement prévu le 21 octobre, le vote du Parlement sera sans doute reporté. Même en cas d'approbation d'une Commission Juncker très proche de l'actuelle proposition, sa prise de fonction n'interviendra peut-être pas avant le 1er décembre 2014 (et le non le 1er Novembre prévu par le calendrier initial).
Car Jean-Claude Juncker a du travail avant de soumettre au vote sa "copie finale".
La nouvelle candidate-commissaire - Violeta Bulc - qui a été désignée par la Slovénie doit être auditionnée à son tour (et aux dernières rumeurs, ça n'est pas sûr qu'elle passe non plus).
Plusieurs missions ont été retirées à des candidats et doivent être redistribuées : la mission "citoyenneté" initialement proposée à Tibor Navracsics, les dossiers "développement durable" retirés à Miguel Cañete,...
Jean-Claude Juncker n'échappera pas à un mini-remaniement de son Collège et des porte-feuilles.
Tout d'abord parce qu'il lui manque à ce jour son Vice-président énergie.
Ensuite parce qu'il sait très bien qu'en l'état, il ne convaincra pas une majorité d'eurodéputés. Et d'autant moins, que les citoyens font pression pour qu'ils disent "non" (notamment à cause de la présence de Miguel Cañete et de Tribor Navracsics).
Au final, à quelques jours du vote au Parlement, la partie est loin d'être jouée pour certains candidats-Commissaires. N'en déplaise à ceux (dont Miguel Cañete) qui avaient déjà modifié leurs biographies (sur Wikipedia et ailleurs...) en s'y annonçant Commissaire européen depuis plusieurs semaines... et ont désormais rétabli qu'ils sont "candidat en attente de validation" !
Une petite leçon de démocratie appliquée... qui n'est pas terminée ! :-)
Source et ressources
Lettres de mission de Jean-Claude Juncker à chacun de ses Commissaires désignés
Documents fournis par les candidats-commissaires
Vidéo des auditions
Site du Parlement européen